La tuilerie disparue du Coudray
Selon les cartes postales éditées au début du XXe siècle, deux tuileries furent installées sur le territoire de la commune de Courmemin, sur la route de Vernou-en-Sologne, l’une implantée à la limite du bourg, au lieu-dit « Le Coudray », l’autre, quelques centaines de mètres plus loin, au lieu-dit « la Chaplaudière »
Le Coudray
Depuis la révolution, ce lieu et ses dépendances appartiennent à la famille Robin.
Claude Robin et Marie Rondeau, son épouse, ont acquis ce bien national, par adjudication, le 5e jour complémentaire de l’an 4 (= 21 septembre 1796). En 1828, Benjamin et Jacques (deux de leurs enfants), sont les propriétaires : ils ont reçu chacun la moitié indivise du lieu, par donation de leur mère.
En 1835, après le décès de Benjamin et Jacques, leur frère Florent devient le propriétaire.
1844 – Première trace de la tuilerie.
La première information relative à la tuilerie du Coudray nous est donnée par le registre d’état civil des naissances de la commune de Courmemin : le 22 Juin 1844, Jacques Massicard, déclare la naissance de son fils et se dit "tuilier au Coudray"
Au recensement de 1841, Florent Robin est enregistré comme « propriétaire au bourg ». Il n’y a pas de tuilier déclaré sur le territoire de la commune.
L’examen exhaustif des registres d’état civil apporte quelques renseignements complémentaires sur ces années. Florent Robin, se déclare « commerçant » lorsqu’il est témoin sur un acte de naissance en mars 1841, puis « propriétaire » à la naissance de son fils en 1842 et « cultivateur », en avril 1844, à la naissance de sa fille Florentine.
La tuilerie fut sans doute installée peu de temps avant 1844.
En mars 1849, « Florent Robin, fabricant de tuiles » figure dans la liste des patentables résidant dans l’arrondissement de Romorantin et le15 avril suivant, il est présent à l’hôtel de la Mairie de Romorantin pour l’élection des membres de cette chambre : c’est même l’un des scrutateurs désignés par le président de cette réunion.
Les Massicard, premiers tuiliers du Coudray.
La provenance des premiers Massicard recensés en 1846 nous reste inconnue : les deux sont prénommés Jacques, l’un âgé de 34 ans, le second de 68, et probablement de la même famille, mais cela n’a pu être vérifié.
Par contre, on en sait plus sur autre Jacques Massicard, ouvrier tuilier en 1851.
Il est issu d’une famille de tuiliers : son père Jacques Alexandre Massicard est tuilier à la Morinière, commune de Mur-de-Sologne (L.-et-C.) en 1812.
Jacques lui succède, il est le « maître tuilier » de la Morinière, responsable de la fabrication de novembre 1816 à mars1839. Après le décès de sa femme, Catherine Gomin, il est marchand de porcs à Bracieux : il se remarie le 11 janvier 1841, à Neuvy-en-Sologne (L.-et-C.).
Une famille de tuiliers s’installe à Courmemin.
En 1851, Florent Robin le propriétaire se déclare « chef de tuilerie » et le Coudray est qualifié «d’usine à chaux et tuilerie ».
En 1855, un premier bail, concernant la métairie et la tuilerie du Coudray, s’appuie sur des « conventions verbales » entre Florent Robin et les époux Massicard–Barbellion. Par suite d’un non paiement d’une partie des fermages de l’année 1856, constaté par huissier, une régularisation du bail est faite devant notaire l’année suivante, qui précise les conventions des deux parties, portant sur les pièces de terre concernées, les bestiaux, pailles, foins, fruits et les entretiens des différents lieux. Seul l’article 4 de l’acte, relatif à l’entretien des bâtiments, évoque l’entretien de « fourneaux ».
Pierre Massicard est né à Mur de Sologne (L.-et-C.) en 1816. Avec sa femme Marie Barbellion, il a 10 enfants, tous nés à la Morinière, de janvier 1841 au mois d’août 1853 ; 7 de leurs enfants habitent avec eux au Coudray. Durant ces années passées au Coudray, Pierre Massicard n’aura pas ou peu d’employés : aide, charretier ou domestique. En 1861, ses cinq garçons ont de 15 à 20 ans : la famille seule exploitait à la fois la métairie et la tuilerie.
Les Massicard quittent le Coudray en 1865 pour fonder leur propre tuilerie, à quelques centaines de mètres de là, au lieu-dit la Chaplaudière.
Après leur départ, l’activité de la tuilerie du Coudray semble avoir faibli. Les recensements de 1866 et 1872, ne mentionnent pas d’emplois liés au travail de la terre cuite : les Robin sont cultivateurs.
Mon oncle « Médée »
Florent Robin, « le patriarche », décède en 1870. Son fils Amédée hérite de la tuilerie.
Le four est installé depuis plus de trente ans ; son état n’est plus satisfaisant. Amédée en fait construire un nouveau en 1875.
Hubert Fillay, écrivain et poète régional a, dans ses récits solognots, évoqué Amédée Robin.
qui était son oncle : Adèle Julienne Robin, sœur d’Amédée, avait épousé le père d’Hubert Fillay en 1874.
Ce sera l’oncle « Médée » des « Contes de la Brémaille » : « […] Il avait bien d’autres sujets de conversation ! Est-ce parce qu’il avait adjoint à ces travaux des champs la direction d’une tuilerie et pris ainsi contact avec des entrepreneurs ou commerçants, on pouvait dire, suivant l’expression consacrée, que la sage-femme qui lui avait coupé le fil de la langue n’avait pas volé ses cinq sous […]».
Les Blanchard : une autre famille de tuiliers
En 1881, Aimable Blanchard, 51 ans, est le nouveau tuilier : il vit avec son épouse et six enfants, l’aîné est également tuilier.
Cette famille vit à Courmemin pendant de nombreuses années : le fils est nommé dans un acte d’état civil de 1892, le père est témoin dans d’autres actes jusqu’en 1894.
Des briques sont estampillées « BLANCHARD », sans autre indication.
Les Robin
Eusèbe Robin, le fils d’Amédée, né à Courmemin le 21 août 1869, devient le « briquetier chef » de la tuilerie du Coudray. Sa femme est Marie Thipot.
Eusèbe fait construire un nouveau four à tuile en 1904 : on le découvre sur deux cartes postales postées en 1906 et 1910. C’est un four vertical intermittent à couvrement : ce type a beaucoup été utilisé en Sologne.
Le recouvrement est fait de deux façons :
- soit par un cône et cheminée verticale, comme ici au Coudray ; mais , on peut également citer la Tuilerie de Marcilly-en-Gault (Loir-et-Cher.), la Briquerie à Nouan-le-Fuzelier (Loir-et-Cher.), Cendray à Jouy-le-Potier (Loiret).
- soit par une voûte percée de plusieurs trous d’évacuation (Mont-Evray à Nouan-le-Fuzelier- Loir-et-Cher), la Tuilerie de la Bretèche à Ligny-le-Ribault (Loiret), la Chaplaudière à Courmemin (Loir-et-Cher.).
A la Morinière (Mur-de-Sologne – L.-et-C.) la cheminée quadrangulaire est cantonnée de quatre petites cheminées qui rappellent les ouvertures multiples des fours à voûte.
Le sommet de ces fours est tenu par des pièces de bois de chêne « les clés », appelées aussi moises … « ceintures qu’on met quelquefois pour fortifier le four et empêcher qu’il ne s’ouvre ».
Le foyers des fours sont faits de brique « normale » (non réfractaire) : les clés permettent d’éviter une trop grande dilatation de la voûte pendant la cuisson. Au Coudray, elles sont installées sur trois niveaux.
En 1909, Eusèbe Robin décède à l’âge de 39 ans. Sa femme, Marie Thipot, poursuit la tâche de son mari comme le prouve une déclaration d’accident faite à la mairie le 26 mai 1910 : …. «accident survenu dans l’usine de Mme Veuve Robin Thipot tuilière au bourg de Courmemin »….
L’accidenté est Simon Brachet, âgé de 18 ans, ouvrier tuilier. La déclaration précise les circonstances de l‘accident : « une brouette chargée de briques était roulée sur une planche lorsque la planche se brisa et la brouette en se renversant rejeta sur un tas de briques l’ouvrier dont il s’agit »
Laveau
1911 – Un nouveau tuilier est installé au Coudray : Etienne Laveau (fils d’un tuilier qui travailla dans plusieurs tuileries de Loir-et-Cher : au Mesnil à Dhuizon, puis à Villeny, et aussi à Bracieux, de 1911 à 1921) vit avec sa femme Mélanie, née Aubry, et ses deux enfants.
Il est assisté d’un ouvrier tuilier et de deux domestiques : l’un d’eux, Paul Bazange, 17 ans, est originaire de Masseret en Corrèze, l’autre est né à Prouget ? probablement un autre lieu ou hameau de la région de Limoges. La bonne marche de la tuilerie nécessite l’emploi de quatre à cinq personnes, pour la plupart des personnes des environs ; mais on embauchait également des saisonniers venant d’autres régions. C’est le début des « Auvergnats », comme les surnommaient les habitants du village, à la tuilerie du Coudray . Ces jeunes gens venaient du Limousin (départements de Haute-Vienne ou Corrèze).
Etienne Laveau est toujours tuilier en 1914 comme le prouvent les déclarations d’accidents faites le 9 août 1912, le 27 juillet 1913 et le 1er mars 1914. Le 23 mars 1914, il témoigne à la déclaration du décès d’un de ses ouvriers : Jean Vallette 18 ans, natif de Saint-Yrieix (Haute-Vienne) est mort à son domicile à la tuilerie.
Il quitte Courmemin , entre 1915 et 1920, et s’installe à Bracieux (L.-et-C.).
L’apport de calcaire dans les terres de Sologne par ajout de chaux (chaulage) s’est généralisé dans la seconde moitié du 19me siècle. Depuis l’ouverture de la ligne de tramway de Lamotte-Beuvron à Blois, qui dessert les carrières de Mont, il s’est établi à Dhuizon, à Neung, à Chaumont-sur-Tharonne, des fours à chaux où la cuisson se fait à l’aide de bourrées de pins.
La tuilerie du Coudray produisit également de la chaux .
Les clichés des trois cartes postales, ayant circulé entre 1906 et 1919, révèle la présence de pierre calcaire en vrac ou entassée prés du four : à certaines périodes cette activité était aussi importante que celle de la terre cuite.
La pierre à chaux était acheminée depuis les carrières de la commune de Billy (Loir-et-Cher.) à l’aide de « tombereaux » attelés de chevaux ; le voyage de plus de trente kilomètres s’effectuait dans la journée.
La cuisson de la brique et de la chaux se faisait dans le même four.
Le déclin
Marcelle ROBIN, fille d’Eusèbe, est propriétaire du Coudray.
Elle se marie le 20 avril 1914 à Courmemin, elle a 19 ans, son mari sera tué à la guerre peu de temps après. Il semble que l’activité de la tuilerie fut peu importante pendant cette période.
Activité de la tuilerie pendant la « grande guerre »
Peu d’archives sont disponibles : il n’y a pas eu de recensement de la population entre 1911 et 1921 ; les actes d’état civil ou notariés ne sont pas consultables.
Du fait du manque de main-d’œuvre, de nombreuses demandes de sursis ou permissions furent faites auprès de l’administration militaire. Elles concernaient de nombreux métiers (meuniers, maréchaux-ferrants, travaux agricoles, bourreliers, tonneliers, voire tondeurs de moutons) mais pas celui de tuilier. La guerre engendra également des réquisitions, notamment celles des chevaux : mais on ne sait pas quelle fut la situation réelle.
Marcelle Robin se remarie en 1920, avec Georges Paly, à Blois (L.-et-C.) ; les nouveaux époux sont les propriétaires, mais résident à Paris.
L’activité de la tuilerie est relancée entre 1921 et 1926 : Sylvain Massicard, petit-fils de Pierre Massicard qui quitta le Coudray en 1865 pour s’installer à la Chaplaudière, est le contremaître de la famille.
En 1927, on « mécanise » un peu plus les activités de la tuilerie : une machine à vapeur et une mouleuse sont installées. L’activité de la tuilerie se poursuit jusqu’à la seconde guerre mondiale.
Suivant les années trois ou quatre ouvriers tuiliers sont employés : Sylvain Massicard (le contremaître), Marcel Plouard, François Pasquier, mais aussi François Bigot, Octave Pasquier, Pierre Jumuel et Clotaire Duquenet.
Joseph Segret est un ouvrier agricole, le « charretier de la tuilerie Paly » : tout le monde reconnaît son savoir faire. Il achemine l’argile, de la carrière à la tuilerie, dans un tombereau attelé d’un cheval.
Il livre briques et tuiles jusqu’aux alentours de Blois : il mène deux attelages (deux grandes charrettes à ridelles attelées chacune d’un cheval). Il transporte les bourrées de sapin et genets pour alimenter le four : il en rapporte au retour de ses livraisons, mais il va aussi en chercher dans la commune voisine de Veilleins (L.-et-C.) … Il menait le premier attelage, installé sur un petit siége fixé le long du limon de la charrette …. se rappelle Gérard, son fils…Après avoir effectué la livraison des briques et des tuiles, il rentrait très tard , souvent la nuit venue ; ses chevaux portaient des grelots, chacun était averti de son retour au village …
D’autres bruits participait à la vie du village, poursuit Gérard Segret……le moteur à explosion qui entrainait la mouleuse faisait un «bruit d’enfer ».
Vers 1936-37, on installe un nouveau four, enterré, de type semi-continu horizontal et employant le charbon et le bois comme combustible. Mais ces essais ne furent pas concluants et cette installation fut abandonnée au bout d’une année environ.
Le « vieux four » est remis en service.
Comme pour la première guerre, on sait peu de chose sur l’activité de la tuilerie durant la période de la deuxième guerre mondiale.
L’administration militaire réquisitionna des chevaux dans des exploitations agricoles de la commune, mais aucun document d’archives ne se rapporte aux tuileries.
La tuilerie fonctionne encore en 1946
François Pasquier, 66 ans, ouvrier tuilier déjà en 1931 et en 1936, est encore présent : est-ce la preuve qu’on a maintenu une certaine activité durant ces années de guerre ?
Beaumont Léonce (27 ans) et Raymond Bray (33 ans) sont également des ouvriers tuiliers..
Sylvain Massicard n’est plus employé à la tuilerie, il est redevenu cultivateur. Il réside à la Ginguette, une maison qu’il a fait construire à une centaine de mètres de la tuilerie de la Chaplaudière.
Les deux premiers fours eurent une « durée de vie » d’une trentaine d’années.
Celui de 1904 a été modifié ou reconstruit comme le montre une carte postale des années 1950. Sur le cliché, seule la partie supérieure du four est visible : le cône et la cheminée centrale n’existent plus, une voûte et quatre cheminées d’évacuation les remplacent.
En quoi cette installation est-elle supérieure à la première ?
La photographie aérienne a été faite avant 1960, date de la démolition du four du Coudray.
La tuilerie cesse son activité en 1953 ou 1954 : à cette période, elle était dirigée par Raymond Bray qui part travailler dans une tuilerie de Chaumont-sur-Tharonne.
Vers 1960 – destruction du four.
Voir cet article dans le bulletin trimestriel du GRAHS (Groupe de Recherches Archéologiques et Historiques de Sologne) Tome 28, n°2, avril-juin 2006.
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